Pourquoi répondre au projet d’arrêté prolongeant la chasse aux oies

L’arrêté vise à permettre la chasse de l’oie cendrée jusqu’au 28 février. Deux autres oies (rieuse et des moissons) pourront être chassées jusqu’au 10 février. Pourquoi répondre?

Edit du 8 février

L’État avait décrété l’autorisation de la chasse aux oies …

Mais le 29 janvier, le Conseil d’État a ordonné l’arrêt de la chasse aux oies sauvages.
En effet on peut lire : “D E C I D E :
Article 1er : La décision par laquelle la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargée des relations internationales sur le climat, a donné instruction de ne pas verbaliser du 1er février au 12 février 2017 inclus les personnes pratiquant la chasse des oies cendrées est annulée. “
Une bonne nouvelle pour les naturalistes, une mauvaise pour les chasseurs ?

D’après la LPO, janvier 2019

D’abord, que se passe-t’il ?

Le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire souhaite modifier la règlementation de la chasse de 3 espèces d’oies : Oie cendrée, rieuse et des moissons. Une consultation publique a été mise en ligne, proposant une autorisation de la chasse de 5 000 Oies cendrées partout en France jusqu’au 28 février 2019 ainsi que des Oies rieuses et des moissons sans quota jusqu’au 10 février.

Cette consultation publique est ouverte jusqu’au 24 janvier 2019 afin de révéler les avis des citoyens, et vous pouvez y participer.

Des oies (des neiges, celles-ci!) dans le ciel

Les effectifs annoncés semblent être désuets

On peut lire sur la consultation publique que “L’effectif global de cette population a augmenté d’environ 30 000 individus au milieu des années 1960, est passé à un effectif de 120 000-130 000 au milieu des années 1980, pour atteindre environ 1 200 000 en 2017.”

Cependant, les chiffres avancés par le ministère ne sont pas d’actualité puisque la population actuelle est plutôt estimée à 960 000 individus [5], soit presque 25% de moins que les 1 200 000 oiseaux annoncés. Certes les Oies cendrées sont classés en état de conservation « non préoccupant » selon la liste rouge européenne [4], mais sont-elles vraiment si présentes?

Les Oies cendrées destructrices d’exploitations agricoles ne sont pas les nôtres

La dégradation des exploitations agricoles est un des principaux arguments qui justifie le projet d’extension de la période de chasse. En effet on peut lire sur la consultation publique que “du fait de cette expansion [des oies], les dégâts agricoles sont de plus en plus importants, ce qui conduit notamment les Pays-Bas à détruire une partie importante de la population”.

Or en Europe, la population d’Oie cendrée est répartie aux Pays-Bas (43% de la population en reproduction et sédentaire), en Suède (20%), en Allemagne (15% et sédentaire), en Norvège (11%) et au Danemark (8%)

En effet la population d’Oie cendrée de l’Ouest de l’Europe se compose de 3 groupes bien différents :

  • Deux groupes migratreurs qui se reproduisent en Scandinavie et qui hivernent en France et en Espagne
  • Un groupe de populations sédentaires (non migrateurs) représenté par des oiseaux qui se reproduisent aux Pays-Bas, en Belgique, et en Allemagne

La nouvelle étude réalisée dans le cadre du plan de gestion international de la population[6] a montré que les oiseaux présents en France proviennent des Oies cendrées de Scandinavie. Ils ne sont pas les mêmes que ceux des Pays-Bas qui semblent détruite les exploitations des agriculteurs.

Ainsi, chasser les oies en France ne participerait pas à réduire les dégâts causés par les oies aux Pays-Bas, puisqu’il ne s’agirait pas des mêmes oiseaux.

Oie cendrée, Illustration par Laura Bour

Les Oies cendrées ne représentent pas de réels dangers pour les écosystèmes

Les dommages aux écosystèmes sont également cités pour justifier cette mesure. Cependant ces dommages sont encore très peu documentés[6]. De plus les dégâts sont localisés dans des zones et périodes de très fortes concentrations d’oiseaux, où se concentrent également de très fortes concentrations humaines. Cet impact n’est pour l’instant ni estimé, ni vérifié. Et enfin, on peut se demander quels types de milieux sont concernés et s’il s’agit … des grandes monocultures ?

Une mesure…contraire à la directive européenne

D’après les dernières données sur la migration et la reproduction de ces espèces en décembre 2018 [1], la migration des Oies cendrées débute dès le 20 janvier.

Or l’article 7 de la Directive Oiseaux (directive européenne) précise que les oiseaux migrateurs ne peuvent être chassés en période de migration pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification.

De ce fait, en théorie la fermeture de la chasse aux Oies cendrées ne peut pas avoir lieu au-delà de la fin janvier, principe rappelé par la Cour de justice de l’union européenne en 2003 [2] et en 2015 [3].

Deux autres oies … en chasse illimitée ?

Pour les deux autres espèces d’oies : l’Oie rieuse (Anser albifrons albifrons) et l’Oie des moissons (Anser fabalis rossicus), leur chasse jusqu’au 10 février serait autorisée sans quota. Or cette limite chevaucherait le début de leur migration de retour et pourrait poser problème pour les oiseaux. De plus, il y un risques élevé de confusion entre ces oies et les oies cendrées [7], pouvant mener à la chasse de ces deux espèces rares après la fermeture puisque la chasse des Oies cendrées serait toujours ouverte.

La migration… Un processus plus qu’un déplacement

Enfin, la migration ne débute pas toujours par le vol migratoire. Chez certaines oies , une grosse partie des réserves énergétiques utilisées pour le vol sont acquises plusieurs semaines avant la migration[8]. Chaque vol migratoire est précédé d’une période de plusieurs jours voire plusieurs semaines où les oiseaux augmentent leur temps et leur effort d’alimentation[9]. Pourquoi ? Stocker davantage de réserves pour la migration et la reproduction. Donc même si les premiers vols migratoires n’étaient observés qu’en février, le phénomène migratoire a débuté plusieurs semaines avant cette date.

De plus, avec le réchauffement climatique, les date de début de vol migratoire sont progressivement avancées. On peut donc penser que dans quelques années les oies pourraient commencer leur migration avant le 10 février , et on rappelle que chasser les oiseaux en migration est interdit par l’Europe…

Pour finir,

Il avait été annoncé à l’automne 2018 que l’oie cendrée ferait partie des espèces dont la « gestion adaptative » serait discutée par un conseil scientifique en cours de mise en place. Or ce conseil ne s’est pas encore réuni, et n’a donc pas pu fournir de réponse aux questions de l’oie cendrée ni sur ce projet d’arrêté [11].

Si vous souhaitez vous exprimer sur la consultation publique, n’oubliez pas d’écrire clairement votre position et d’argumenter, sinon, votre avis ne sera pas pris en compte!


Sources

[1] Lamarque, F. & Eraud , C. (2018) Update: Key concepts of Article 7(4) – Synthèse des avis et positions arrêtées par les différentes parties lors de la réunion du 22/11/2018 (MTES La Défense, Paris) et à travers les échanges courriels des 26, 27 et 28 novembre 2018 (pour l’Oie cendrée, le Harle bièvre et la Tourterelle turque). pp. 148. Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, Office Nationale de la Chasse et de la Faune Sauvage, Paris, France.

[2] Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 16 octobre 2003. – Ligue pour la protection des oiseaux e.a. contre Premier ministre et Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement. – Demande de décision préjudicielle: Conseil d’Etat – France. – Directive 79/409/CEE – Conservation des oiseaux sauvages – Dates d’ouverture et de clôture de la chasse – Dérogations. – Affaire C-182/02.

[3] Réponse de Karmenu Vella en date du 13 mars 2015, Commissaire européen à l’environnement, à Mme Ségolène Royale.

[4] BirdLife International (2015) European Red List of Birds. pp. 67. European Commission, IUCN, SSC & BirdLife International, Luxembourg.

[5] Fox, A.D. & Leafloor, J.O. (2018) A global audit of the status and trends of Arctic and Northern Hemisphere goose populations. pp. 31. Conservation of Arctic Flora and Fauna International Secretariat, Akureyri, Iceland.

[6] Powolny, T., Jensen, G.H., Nagy, S., Czajkowski, A., Fox, A.D., Lewis, M. & Madsen, J. (2018) AEWA International Single Species Management Plan for the Greylag Goose (Anser anser) – Northwest/Southwest European population. AEWA, Bonn, Germany.

[7] Christensen, T.K., Madsen, J., Asferg, T., Hounisen, J.P. & Haugaard, L. (2017) Assessing hunters’ ability to identify shot geese: implications for hunting bag accuracy. European Journal of Wildlife Research, 63, 1-11.

[8] Migrating Birds Stop over Longer than Usually Thought: An Improved Capture-Recapture Analysis (2001). Michael Schaub, Roger Pradel, Lukas Jenni and Jean-Dominique Lebreton Source: Ecology, Vol. 82, No. 3, pp. 852-859

[9] Newton, I. (2006). Can conditions experienced during migration limit the population levels of birds?. Journal of Ornithology147(2), 146-166.

[11] La gestion adaptative des prélèvements cynégétiques, (2018). Léo Bacon & Matthieu Guillemain, ONCFS, Direction de la recherche et de l’expertise, Unité Avifaune migratrice – La Tour du Valat, Le Sambuc, Arles.

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