Les sociétés littorales en première ligne

Publié le 17/12/2020
Rédigé par Marylou Tournayre – Illustrations : Marylou Tournayre, Mathieu Bourgarel

À la fin de notre précédent article “Les zones humides face à la montée des eaux”, on vous parlait des impacts sur nos sociétés et les habitants du littoral, en première ligne face au phénomène.

Aujourd’hui, on va s’intéresser au côté “humain” du problème. Quels sont les moyens à mettre en place pour se protéger ? Faut-il fuir le littoral ? Devons-nous construire des ouvrages pour pallier au changement climatique ? Mais à quel prix ?
On va partir ensemble à la recherche de toutes ces réponses !

Des impacts déjà visibles

Les plages reculent

Si vous avez bien lu nos deux précédents articles, vous devez vous rappeler que le changement climatique induit une augmentation du niveau marin qui va avoir pour effet une submersion progressive de nos littoraux (et si vous ne les avez pas lus, c’est pas grave, vous pouvez toujours les retrouver ici). Mais si le trait de côte, c’est à dire l’intersection entre le sol et la mer, recule, le changement climatique n’est pas le seul à blâmer ! 

En effet, la plage représente un équilibre entre un apport et un départ de sable, donc si beaucoup de sable arrive la plage va avancer, et au contraire s’il y en a trop peu, elle reculera. Les ouvrages, comme les digues ou les barrages, ont tendance à retenir les sédiments qui ne peuvent alors pas arriver jusqu’à l’estuaire pour renflouer les plages. Ainsi, notre littoral est particulièrement touché par ce phénomène puisque les grands fleuves se jetant dans la mer méditerranée, tels que le Rhône, l’Aude ou encore l’Hérault, sont très aménagés.  De plus, sur ces fleuves, et particulièrement sur le Rhône, beaucoup de sables et de graviers ont été extraits pour la construction. Les plages constituent 32 % de notre littoral Méditerranéen français1, et si l’on fait une petite comparaison avec les plages que nos grands-parents connaissaient, on peut déjà observer leur rétrécissement. Mais comme on l’a vu ensemble précédemment, l’augmentation du niveau marin n’est pas uniforme, tout comme le recul du trait de côte n’affecte pas toutes les plages de la même manière, certaines sont plus touchées que d’autres. En effet, depuis la fin du XIXème siècle, l’ensemble du littoral sableux languedocien aurait reculé de près de 7 m en moyenne, tandis que les plages de poche de Provence, c’est-à-dire les criques, auraient perdu près de la moitié de leur superficie2.

La disparition progressive de ces plages est impactante à plusieurs niveaux : culturel, économique, environnemental, humain, etc.

Le pourtour méditerranéen est très attractif, les plages de sable chaud, les calanques, les étangs, le soleil, les couleurs chatoyantes, tout cela en fait un point de rendez-vous touristique depuis le XIXème siècle. En 1963 la mission Racine avait pour objectif de développer le littoral du Languedoc Roussillon: des stations balnéaires ont été construites, les villes se sont agrandies pour accueillir plus d’habitants et les immeubles se sont installés de plus en plus près de l’eau… En PACA ce développement touristique existait déjà depuis les années 50, et entre 1962 et 2016 la population a augmenté de 1,2 millions d’habitants sur l’ensemble du littoral !3 Ce dernier connaît d’ailleurs aujourd’hui la plus forte densité de population des 4 façades maritimes françaises. Avec 358 habitants par km² et 641 hab/km² à moins de 500m de la mer4, ça en fait du monde concerné par cette problématique.

Des habitations submergées

La submersion marine c’est une inondation temporaire générée par l’océan, ou par la mer dans notre cas, lorsqu’il y a des conditions météorologiques extrêmes. Comme exemple, on se souvient de 2010, avec la tempête Xynthia qui avait frappé plusieurs pays européens et causé de nombreuses pertes.
En France métropolitaine, elle menace 1,4 millions de résidents et 165 000 bâtiments, dont 20% sont de plain-pied, donc très vulnérables5 ! Sur le pourtour méditerranéen ce sont plus de 26 000 bâtiments qui sont menacés et plus de 2 600 km d’infrastructures de transport maritime et fluvial6.

Les départements les plus concernés par cet aléa ne sont pas les départements qui bordent la Méditerranée, puisque cette dernière connaît des tempêtes moins violentes que son voisin l’océan Atlantique, cependant, comme on l’a dit plus haut, les enjeux y sont plus importants puisque c’est un territoire très peuplé et aménagé.
Pour rappel, l’aléa est un événement, un phénomène ponctuel (intempérie, séisme, canicule etc.) et les enjeux ce sont toutes les choses pouvant être touchées par cet aléa, donc ici la maison de vacances au bord de l’eau. Le croisement des deux constitue ce qu’on appelle le risque.

Le changement climatique (oui oui, on en parle souvent, mais c’est important !) risque d’avoir une influence également sur ces submersions marines, tout comme le recul du trait de côte, puisque les enjeux seront proches de l’eau. Le GIEC établissait en 2014 un rapport indiquant qu’une remontée de 0,5 m du niveau marin augmenterait la fréquence de cette catastrophe de 10 à 100 fois7 ! À priori, la cause principale serait alors la hausse du niveau de la mer, entraînant l’élévation des vagues. Mais la submersion marine dépendant de la pression atmosphérique et des vents, ces paramètres auront certainement aussi un rôle à jouer là dedans.
Le double effet du changement climatique et de l’augmentation du recul des plages pourrait alors entraîner la disparition totale, à l’horizon 2100, de 50 000 logements8.

Des métiers en danger

En tout, en France métropolitaine, ce sont plus de 850 000 emplois qui sont menacés par la perte des plages.
En premier, on pense directement au tourisme. En effet, la France est le premier pays touristique au monde, on estimait 89 millions de touristes étrangers en 20179.  Et si la capitale parisienne ou encore la Bretagne sont très prisées, les plages du Sud de la France attirent presque 30% de ces touristes. Et à ceux-là s’ajoutent également les nombreux touristes français qui descendent profiter du soleil, en 2008 le nombre total de nuitées en Méditerranée s’élevait à 66 millions10.
Par conséquent, sur notre littoral il y a de nombreuses activités professionnelles en rapport : cafés, restaurants, hôtels, bases nautiques, agences de voyage… En tout, aux abords de la Méditerranée ce sont plus de 130 000 emplois qui sont liés au tourisme11.
D’autres corps de métier sont aussi directement menacés par la submersion des plages méditerranéennes, c’est le cas notamment du transport fluvial et maritime représentant environ 12 700 emplois, 4 000 dans la production de la mer, 8 400 dans la construction navale et 600 dans la production de sel, et beaucoup d’autres12.

L’élévation du niveau de la mer et le recul du trait de côte, qui auront tendance à s’accentuer dans l’avenir, impactant les emplois et constructions du littoral, nous amènent donc à nous intéresser aux différentes solutions connues à ce jour et envisagées.

Des solutions et des compromis

Les ouvrages de protection

Notre littoral était relativement naturel jusqu’aux années 50. Puis, en réponse à l’érosion, aux inondations côtières, à l’artificialisation des plages et à l’affluence de la population, des ouvrages de protection ont été construits. Au niveau de la Méditerranée, ces ouvrages, composés généralement de blocs de pierre et de béton, sont les brise-lames (parallèles à la côte) et les épis (transversales à la côte).

Si certains de ces grands projets de génie civil se sont révélés efficaces, on sait aujourd’hui qu’ils n’ont pas que des avantages. D’une part, leur impact économique est lourd, le coût d’un brise-lame ou d’un épis est estimé entre 1 260 et 5 400 euros par mètre d’ouvrage13. Sur les littoraux français on compte plus de 16 000 ouvrages, le calcul est vite fait pour comprendre que ça représente une somme énorme ! 
D’autre part, leur impact écologique est à prendre en compte : ces types d’ouvrages font barrière aux courants naturels et à la lumière, ce qui peut perturber le milieu marin. Enfin, si ces infrastructures peuvent limiter localement l’érosion, leurs effets à plus long terme restent aléatoires, puisque leur positionnement bouleverse la dérive littorale et des sédiments vont s’accumuler par endroit et se retirer ailleurs. Or, 24 ports et plus de 250 ouvrages ont été construits rien que sur le littoral languedocien depuis les années 1960, et plus de 110 ouvrages sur les côtes camarguaises2.

Les méthodes douces

D’autres méthodes, plus douces, ont été mises en place pour contrer ces phénomènes, c’est le cas notamment des ganivelles; les clôtures en bois que l’on peut voir sur certaines plages; elles servent à limiter la force du vent et le déplacement du sable. Une méthode très utilisée actuellement est le réensablement. Mais si elle est classée comme méthode douce, l’extraction des sédiments dans les fonds marins impacte grandement les écosystèmes !

Progressivement, les politiques publiques se tournent vers des solutions fondées sur la nature pour contrer les risques littoraux, par exemple grâce à la plantation d’essences végétales et d’arbres dont les racines aident à stabiliser les plages. En plus de nous protéger ils pourront même nous servir de parasols naturels !
Certains écosystèmes limitent naturellement ces risques, c’est le cas des fameux herbiers de Posidonie en Méditerranée, qui vont atténuer la houle et donc à la fois l’érosion et la submersion marine ! C’est une des raisons de l’importance de les préserver et de les restaurer. 

Il existe également des alternatives artificielles qui vont imiter ces effets, c’est le cas par exemple des atténuateurs de houle. Des idées innovantes naissent chaque année pour pallier ces problèmes.

L’adaptation Humaine

Une des stratégies actuelle s’axe sur l’adaptation de l’Homme à la nature, et non l’inverse.
Une solution est de plus en plus discutée : le recul stratégique. Il s’agit d’accompagner le recul du trait de côte et de laisser la mer submerger les zones sans ou avec très peu d’enjeux (écologiques, économiques ou humains). Ces zones abandonnées à l’eau serviront alors de zones tampon (ça ne vous rappelle pas notre précédent article ?), ainsi elles protégeront des espaces plus vulnérables.

Mais si certains envisagent cette solution, ce n’est pas l’opinion de tous. Une certaine injustice est ressentie par les habitants et travailleurs du littoral, car la disparition des milieux naturels est souvent médiatisée au détriment de celle des petits métiers comme les exploitants de salins. Or le recul stratégique, une stratégie consistant à laisser avancer la mer en lui “cédant” des terres qui sont vouées à être submergées, signifie dans le cas de ces métiers abandonner des exploitations familiales et un patrimoine culturel unique.

La communication, l’éducation ainsi que l’adaptation des bâtis et des comportements sont aussi des solutions envisagées. Faire en sorte que les habitants se responsabilisent, connaissent leur territoire de vie et les risques qu’ils encourent et adaptent les habitations, en créant un étage pour se réfugier en cas d’inondation, par exemple. Mais si ces solutions sont efficaces pour des submersions occasionnelles elles seront inutiles pour une submersion définitive.

Finalement, une solution plus drastique, qui est envisagée dans les communes les plus concernées, est l’expropriation et la relocalisation. Il faut faire des compromis certes, mais lorsque cela équivaut à abandonner sa maison, son exploitation et tout le patrimoine personnel et émotionnel qui s’y rattache, ça peut être très dur psychologiquement. Un dialogue entre tous les acteurs du territoire est alors essentiel, pour éviter les conflits et que tout le monde comprenne et accepte les décisions.


RÉFÉRENCES

  1. Corine Érosion Côtière (AEE), IFEN, 2011
  2. La Liste Rouge des Écosystèmes en France – Chapitre Littoraux méditerranéens de France métropolitaine, Comité français de l’UICN, 2020
  3. Recensement de la population (RP), INSEE, 2016
  4. IGN Admin express, Fidéli, 2017
  5. L’adaptation au changement climatique sur le littoral français, Madelenat, CEPRI, 2016
  6. Prévention des inondations, Ministère de la transition écologique, 2020
  7. GIEC, 2014
  8. Cerema, 2018
  9. Baromètre OMT du tourisme mondial, UNWTO, Data World Bank, 2018
  10. INSEE, DGCIS, partenaires régionaux, 2011
  11. Chiffres clés du tourisme, ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, UNEDIC, 2010
  12. Clap, INSEE, 2015
  13. A Review of Cost Estimates for Flood Adaptation, Aerts, 2018

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